Emmanuelle Cosse

Entretien avec Emmanuel Cosse, Présidente de l’Union sociale pour l’habitat

Né il y a 43 ans, le projet des Régies de quartier s’appuie sur un triptyque incontournable: habitants, élus et bailleurs sociaux, pour construire les modalités d’une gestion urbaine partagée. La légitimité, l’ancrage et le projet social des bailleurs sont à cet égard indispensables.
En 2011, la Présidente du CNLRQ — aujourd’hui Mouvement des Régies — et le Président de l’USH signaient un texte en commun pour souligner combien Régies et bailleurs partagent « ce souci constant d’améliorer les conditions de vie des populations qui résident sur ces quartiers trop souvent et trop injustement stigmatisés. » Douze ans plus tard, quel est, selon vous, l’intérêt pour un organisme HLM de travailler avec une Régie de Quartier ?

Le partenariat entre bailleurs sociaux et Régies s’inscrit effectivement dans une histoire longue. Bon nombre de Régies ont été créées à l’initiatives d’organismes HLM, au plus près des habitants des quartiers, en capacité de travailler avec et pour ces habitants. Ces initiatives sont des pionnières de l’économie sociale et solidaire.

Beaucoup reste à faire car les habitants sont encore confrontés à de nombreuses difficultés du quotidien. Nouveaux projets soutenus par l’ANRU, animation des espaces publics, nouvelle conception des quartiers avec les habitants, isolement et mutation des modes de vie : les bailleurs doivent pouvoir s’appuyer sur les Régies. Par ailleurs, les organismes sont des acteurs engagés dans la transition environnementale des bâtiments. Cela devra s’accompagner d’actions concrètes auprès des habitants pour accompagner les nouveaux usages. Enfin, les Régies continuent d’être essentielles dans l’insertion par l’activité économique des habitants éloignés de l’emploi. À une époque où l’on redécouvre les vertus des circuits courts et de la solidarité locale, le partenariat bailleur / Régie a un bel avenir devant lui !

L’Union sociale pour l’habitat représente 581 organismes Hlm à travers 5 fédérations. Comment renforcer le partenariat entre Régies de Quartiers et bailleurs sociaux, à l’heure où la prise de décision s’éloigne parfois du local et que notre dispositif est parfois mal connu des nouvelles directions ?

Les dirigeants des bailleurs sociaux ont dû à la fois répondre aux impératifs de regroupement de la loi ELAN et trouver des solutions face au choc économique provoqué par la réduction de loyer de solidarité (compensation de la baisse des APL par les organismes). Dans ce contexte de concentration et de stress des modèles économiques, certains partenariats locaux ont pu souffrir. Nous avons un rôle à jouer au niveau national pour mobiliser nos réseaux et faire connaître les projets menés par les bailleurs sociaux et les Régies. La feuille de route commune définie fin 2022 entre l’USH le Mouvement des Régies porte justement sur des publications et des évènements.

Au niveau local, dans le cadre de la politique de la ville, les conventions d’utilisation de l’abattement de la TFPB qui sont partenariales, donnent lieu à une programmation d’actions qui peut concerner les activités des Régies de quartier et qui répond aux besoins des habitants des quartiers (entretien des espaces verts, gestion des encombrants, jardins partagés, précarité alimentaire, animation socio-culturelle, etc.). Ce sont par essence des actions extrêmement locales qui constituent une excellente opportunité pour bailleurs et Régies de concevoir et mettre en oeuvre ensemble des projets d’intérêt général.

Une nouvelle génération de contrats de ville et une nouvelle géographie prioritaire sont en préparation. Dans ce contexte, quels sont les grands enjeux dans les quartiers prioritaires et pour lesquels les coopérations entre les Régies de Quartier et les organismes HLM sont à renforcer ?

Le contexte Covid a montré à quelle vitesse les difficultés des habitantes et habitants des quartiers peuvent s’exacerber : pauvreté monétaire, exclusion numérique, précarité alimentaire, non recours aux droits, précarité sanitaire … Dans le même temps, se sont développés de formidables élans de solidarité portés par les habitants, le secteur associatif, les institutionnels… témoignant de la résilience de celles et ceux qui vivent dans ces quartiers. L’implication des habitants et leur « empowerment » sont un levier de vitalité de ces territoires. Les Régies, comme les bailleurs, dans leur façon d’identifier les besoins, de concevoir les projets et les réaliser peuvent favoriser et encourager cette participation citoyenne essentielle au vivre-ensemble.

Autre grand enjeu (longtemps considéré comme réservé aux quartiers favorisés), l’écologie et l’attention pour le changement climatique dans les quartiers populaires sont à prendre en considération dans tous les projets. Pour favoriser les mobilités actives, développer des ressourceries, de l’achat groupé alimentaire biologique et local, ou encore favoriser la biodiversité dans le cadre de la gestion des espaces extérieurs.

Sur tous ces sujets, les Régies et les organismes Hlm ont des valeurs communes et sont à même de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie dans les quartiers. Cette dynamique doit être poursuivie et se traduire dans les prochains contrats de ville et les conventions d’utilisation de l’abattement de la TFPB.