L'accorderie : un système d'échanges de service pas comme les autres
Le réseau des Accorderies, un concept venu du Québec importé par la fondation Macif, a vu en partie le jour dans le cadre des Régies: ce fut le cas de la première, dans le 19e arrondissement de Paris en 2011, ou encore de celle de Paris-Sud deux ans plus tard. L’idée est d’y favoriser les échanges non-marchands, sur la base de chèques-temps – toutes les tâches effectuées ont la même valeur. On peut donner des cours, proposer du bricolage ou des réparations. Depuis 2017, l’Accorderie de Paris Sud s’est complètement autonomisée de la Régie de Quartier Paris 14e, à laquelle elle continue de faire appel pour le ménage. Corinne Lemasson, qui préside l’association depuis 2020, était l’année dernière encore membre du conseil d’administration de la Régie. Entre les deux structures, les échanges se poursuivent, de réseau à réseau.
L'espace de vie sociale : renforcer les liens à travers des initiatives locales
À Billom, dans l’Allier, à quelques vingt-cinq kilomètres à l’est de Clermont- Ferrand, l’espace de vie sociale de la Régie de Territoire des Deux Rives relève de nombreux défis depuis sa création en 2017. Le premier et non des moindres est de lutter contre la fracture numérique. Le lieu met à disposition wifi et imprimante, organise des ateliers individuels et collectifs, dispose d’un conseiller numérique depuis 2022. En un an, le taux de fréquentation a pratiquement doublé : il devrait atteindre en 2023 le nombre de 1 400 visites individuelles.
L’espace de vie sociale travaille aussi à l’interconnaissance avec l’animation de nombreux ateliers (généalogie, connaissance du territoire, café discussion en espagnol et en italien, café des parents). Il est encore question d’unir le lien social et l’inclusion, puisque le parcours vers l’emploi est orienté vers le public des gens de voyage, très présent sur le territoire. La Régie propose un accompagnement lecture et écriture et aussi des cours de français langue étrangère. Enfin, une attention particulière est donnée à la transition écologique, avec la mise en place notamment d’ateliers zéro déchet, d’une grainothèque, d’un réseau des jardiniers, d’actions en partenariat avec l’écopôle du Val d’Allier qui font aussi écho aux activités de maraîchage de la structure pour ses chantiers d’insertion. Pour finir, on retrouve ici aussi un beau jardin partagé, une ancienne friche que les bénévoles ont littéralement sublimée.
Les jardins partagés : du désir des habitant.es à leur possible autonomie
Au pied des tours-nuages du quartier Pablo Picasso, c’est un beau coin de verdure – 800 m² tout de même – qui a pris son autonomie après des années de cogestion par la Régie de Quartiers de Nanterre. L’histoire commence en 2005 avec la mise à disposition d’un terrain municipal, appelé à devenir un lieu de production, de lien social, d’ateliers et de repas partagés. Pour autant, il n’y a pas alors d’heures d’ouverture pour les habitant·es. Clément Charleux, médiateur de la Régie, fait un premier pas dans ce sens en créant un comité de jardiniers. Un projet de compostage au jardin voit le jour en 2015. La Régie intervient deux fois par semaine l’été pour un temps ouvert aux habitants.
Le comité de jardiniers s’étoffe. Entre 2017 et 2018, le nombre d’ateliers double, dépassant la cinquantaine à l’année. Isabelle Stoianoff, directrice adjointe arrivée en 2019, lance en janvier de l’année suivante une assemblée constitutive pour le Jardin partagé Gorki : « En voyant qui venait au jardin, je me suis dit que le terrain était mûr pour créer une association. » Trois autres associations, dont la Régie, font partie des créateurs. L’idée est d’avoir une répartition évolutive des parcelles, qui seront redistribuées chaque année. Certaines sont collectives, d’autres individuelles. Aucun intrant chimique n’est toléré.
« Ce qui a fait le grand chamboulement et le grand succès du jardin, poursuit Isabelle Stoïanoff, c’est le Covid et le désir de se retrouver. » C’est d’ailleurs à cette période qu’est arrivée Marie-Pierre Bordelais, une habitante des tours-nuages, aujourd’hui présidente de l’association. Les 47 adhérent·es actuel·les ont de 18 à 85 ans. Certain·es viennent pour jardiner, d’autres pour se rencontrer. C’est aussi un lieu de partage des cultures – notamment culinaires – dans un quartier riche de sa diversité. Le coût de l’adhésion reste modique : dix euros par an.
À la Régie de Territoire C2S Services de Vierzon, Mathieu Martin, médiateur depuis avril 2021, a accompagné des collectifs d’habitants apparus là-aussi après le Covid avec le même désir de jardiner et de créer du lien. « Il y avait un projet de France Relance sur les jardins partagés, se souvient-il. Disons que les planètes se sont alignées. » La ville a mis à disposition des terrains à des collectifs allant de deux à dix personnes. Les réalités et le degré d’autonomie sont très différents d’un jardin à l’autre. Celui de l’église est complètement fermé. Le prêtre y travaille avec des primo-arrivants, un public qu’il suit depuis longtemps. Un autre est en pied d’immeuble délimité par des palettes.
Les deux derniers sont ouverts sur le QPV qui les entoure. « Dans ce cas, explique Mathieu Martin, il peut y avoir des dégradations, des dépôts de déchets. Il faut parvenir à garder les habitants mobilisés, trouver des solutions pour maintenir la dynamique collective. Le jardin est un support de lien, poursuit-il. Il faut trouver le juste équilibre entre l’initiative des gens et des orientations qu’on peut donner. C’est la force des Régies de montrer par l’exemple qu’il ne suffit pas d’avoir un terrain pour faire vivre un jardin. »
Transformer les besoins en action
Dans le n°82 du journal Info-réseau, nous avions décrit comment la Régie de Quartier d’Angoulême était partie des besoins exprimés par les femmes fréquentant la nouvelle épicerie sociale autour des protections périodiques et de l’existence de l’Atelier 9 de confection textile pour construire un projet de lutte contre la précarité menstruelle. La Régie s’était mise à concevoir des protections lavables et réutilisables. Parmi les habitantes, Ouassila Karki, dite Abla, était apparue comme un véritable moteur. « Une forme d’estime de soi et de confiance s’est installée dans le collectif. Ça s’est mis à bouillonner tout seul. J’ai récupéré ces envies et ces besoins » explique Isabelle Chasson, chargée de communication et de projet à la Régie, qui a développé à partir de là l’action Femmes des quartiers, actrices du changement. « Il est essentiel que les habitantes et les habitants soient au coeur de ce que nous voulons mettre en place » insiste-t-elle. Quand un besoin, une envie, une attente apparaissent, elle se met en recherche de chiffres et de données pour affiner le premier diagnostic. Ce travail préparatoire lui permet ensuite de construire de solides dossiers de subvention.
Elle se change plus souvent qu’à son tour en force de proposition, en allant plus loin que ce que ces interlocutrices s’autorisent à rêver. « C’est une façon de tirer les projets vers le haut » explique-t elle. C’est ainsi que tout récemment, elle a fait intervenir la photographe Pauline Turmel, afin de suivre les ateliers animés par la sexologue Nadia El Bouga sur l’invitation de la Régie depuis plus de deux ans – voir le n°83 du journal Info-réseau. Ce travail a donné lieu à une exposition présentée à la MJC Mosaïque du quartier de Basseau Grande Garenne dans le cadre de la troisième édition de la fête féministe « Nous descendons d’Olympe ». « L’action “Femmes des quartiers actrices du changement” pourrait être transposable dans d’autres Régies, explique-t-elle, nous avons déjà une identité visuelle forte et une méthode éprouvée : recueillir les besoins émanant des femmes, trouver le moyen de les transformer, établir quel type d’intervenants solliciter, mettre en place la programmation, travailler avec des partenaires très différents et bâtir au quotidien une solide communication via les réseaux sociaux. »
En février, Isabelle Chasson fera venir la paléontologue Marylène Patou-Mathis pour parler de ses recherches sur la femme préhistorique et comment elles nous renseignent sur la construction des genres aujourd’hui. Voilà de quoi donner le temps d’une après-midi des airs d’Université populaire à la Régie, et de quoi faire venir, accessoirement, les curieux du centre-ville et les conservateurs du Musée d’Angoulême dans les quartiers prioritaires. Faire avec, à terme, c’est aussi décloisonner.
A l'écoute des habitant.es : lever les barrières et les freins
La Régie de Quartier Grenoble est présente sur trois quartiers prioritaires de Grenoble sur le secteur 6, la ville étant divisée en six secteurs. Ces quartiers n'échappent pas à la problématique de la lutte contre les discriminations inscrite au contrat de ville.
Depuis 2015, la Régie est engagée sur ces questions au sein d'une cellule de veille et d'action pilotée par la métropole de Grenoble, regroupant une trentaine de partenaires associatifs et institutionnels, afin de mettre en place des actions pour lutter contre les discriminations systémiques. Son axe principal est la formation des partenaires de la cellule et des agent.es recevant des usager.es dans leur structure.
Afin d'assurer un meilleur suivi des personnes, la Régie accueille une fois par mois une consultation juridique avec des avocats de l'Institut des Droits de l'Homme, formé.es à la LCD portée par la métropole. En complément la Régie a mis en place une permanence d'écoute qui va se transformer en une permanence itinérante auprès des structures du quartier. L'objectif pour Jouda Bardi, la chargée de mission médiation, cadre de vie et citoyenneté, est de développer l'accès au droit des personnes et d'identifier avec elles le caractère discriminatoire d'une situation afin de diriger les personnes vers la consultation juridique, le défenseur des droits ou de remplir une fiche de signalement. Afin d'ancrer cette action sur le secteur 6, la ville de Grenoble a mis en place en partenariat avec la Régie, un comité de pilotage. La chargée de mission Jouda Bardi, accompagnée de Bahija Ferhat, administratrice, membre du bureau de la Régie et de Sonia Yassia, cheffe de service, participent à ces réunions qui permettent de mettre en place des actions sur le territoire.
Afin de développer le pouvoir d'agir des personnes, la Régie propose des formations aux habitant.es. Elle a co-construit avec les personnes un livret pédagogique soutenu par le défenseur des droits, Claire Hédon, à travers un édito. Une enquête sur l'impact des discriminations sur le parcours des jeunes des quartiers populaires a été réalisée avec un collectif de femmes, dans le cadre d'un projet multi-partenarial, porté par la métropole et financé dans le cadre du Fond éducation jeunesse. Ces actions sont complétées régulièrement de temps forts, de projections ou d'expositions.
En interne, la Régie a mis en place une formation à destination des chef.fes de services, chef.fes d'équipe, et souhaite mettre en place en 2024, une formation pour ses administrateurs ainsi que des ateliers de sensibilisation à destination des salariés en parcours d'insertion. Au quotidien, la Régie contribue à corriger les inégalités à travers les actions menées dans son tiers-lieu "la Machinerie" et à travers l'accès à l'emploi dans un objectif d'une société plus inclusive.
Photographies et textes : © Olivier Favier